Film muet présentant un cantonnement dans les Vosges qui retrace quelques moments vécus par le 6e BTCA, mené par le Commandant George Desvallières, en février 1918. Il provient des archives de l’armée, numérisées pour le centenaire, sur le site de l'Établissement de communication et de production audiovisuelle de la Défense (ECPAD)
1/ 0.00 à 1.00 Le Foyer du soldat
Desvallières écrit à Marguerite en février 1918, lors de son retour de permission au camp de repos, et lui parle du « Foyer du soldat ».
Or, dans le film d'archives ECPAD, il est question de cet endroit dans la première partie du film (0.00 à 1.00). Effectivement, à gauche du bâtiment qui accueille les soldats, une pancarte à gauche signale « Foyer du soldat », inscrit aussi au-dessus de la baraque sur deux pancartes centrales et derrière le bâtiment, on distingue deux autres panneaux « Cantine Franco-américaine » et « Chapelle » à gauche. Desvallières cite cet endroit où ses chasseurs et lui se rendent, dans deux lettres :
Dans la première (Lettre 1334, 13 février 1918), il écrit « Foyer du soldat franco-américain ». Dans la seconde, (Lettre 1343, 27 février 1918), il écrit « foyer du soldat et d’un poste de réconfort ». Il s'agit du même endroit au Camp Collet.
Lettre 1334
13 février 1918
George à Marguerite […] Notre situation n’est pas encore très fixe,
nous changeons un peu sur place de baraquements.
Pour ces braves gens, le repos consiste
surtout à ne pas entendre de détonation et
surtout à ne rien recevoir. Quand reprendrons-nous les lignes, je ne sais encore. On
parle de quinze jours et peut-être davantage
de repos. Mais il faut s’attendre à tout. Et je
suis d’une grande philosophie à cet égard, je
parle personnellement, car pour mes chasseurs
je serais heureux qu’ils aient un peu de
repos prolongé. Il y a ici un Foyer du soldat
franco-américain. Et ce soir il y avait cinéma,
j’y suis parti avec un sentiment de plaisir
enfantin. C’est incroyable, cela m’amusait d’y
aller. De quoi ne s’amuserait-on pas en campagne.
Je ne dirais pas que j’ai eu une désillusion,
mais j’ai trouvé cela un peu fatigant ! Il y
avait une chose assez gentille. C’est une petite
fille qui habille, lave, fait manger ou endort un
bébé de quelques mois. La joie du petit dans
son bain, tirant la langue pour lécher l’éponge
ou attraper les gouttes qui ruissellent de sa
tête après la joie du biberon. Une assiette de
crème dans laquelle on le laisse barboter avec
une cuiller, le petit bonhomme prend tantôt
par le manche tantôt par la cuillère, tout cela
était gentil et amusait infiniment les chasseurs.
Mais je ne sais pourquoi ce bébé me
semblait jouer un peu la comédie ! […]
G. Desvallières
Lettre 1343
27 février 1918
George à Marguerite […] J’ai reçu une charmante lettre de Jean (1)
m’envoyant une lettre de Rouault croyant
à mon retour, et ne voulant pas me faire
attendre une minute des révélations sensationnelles
mystérieuses etc etc. On est toujours
étonné que les trois années tragiques
que nous avons vécues, vous dans l’angoisse,
nous dans l’effort ou dans l’action, n’aient
pas donné un peu plus de simplicité de vue
à tout le monde. Je dois dire que j’ai plutôt
trouvé cela gai. J’ai écrit à Jean qui pense
comme moi. Et en même temps je lui ai parlé
de ce jeune Gabriel qui me touche, tant j’ai
d’attrait pour ce cher grand-père (2), pour ce
qu’il est, le charmant esprit que l’on sait, et
le père du chère Pépère. Nous avons eu à
déjeuner ce matin un jeune américain et un
M. de Beauvoir, très gentils tous deux. Ils
s’occupent d’un foyer du soldat et d’un poste
de réconfort pour les troupes passant sur ces
hauteurs. Déjeuner vaillant en ce sens que le
moral était haut […]
G. Desvallières
1— Jean Paladilhe.
2— Gabriel Legouvé
2/ 1.00 à 2.30. Le défilé du 6e BTCA, 17 février 1918
On aperçoit alors les compagnies du 6e BTCA qui défilent pour se rendre au lieu de la cérémonie de remise des médailles. Elles suivent leur chef le commandant Desvallières (2.06 à 2.14 et 2.24 à 2.30) accompagné à sa droite du capitaine Sylvestre son adjoint major. Ils sont précédés du fanion du bataillon qui vient d'être décoré. Les capitaines précèdent les compagnies. On reconnaît le capitaine Blachas (1.01 à 1.10) qui dirige la 3e compagnie et le capitaine Réocreux (1.36 à 1.43), capitaine de la compagnie de mitrailleuses, la CM. Le capitaine Hansotte de la 1ere compagnie ainsi que le capitaine Jacquemin de la 2e sont difficilement identifiables.
3/ 2.31 à 4.40. La cérémonie de remise des médailles, 17 février 1918
Desvallières écrit à Marguerite le 17 février 1918 qu'il a accepté de faire « cinémier » cette cérémonie de remise de décorations et donne des détails sur ce court passage cinématographique. (cf. George Desvallières, Correspondance 1914–1918, Une famille d’artistes pendant la guerre, p. 477, Lettre 1337, ci-dessous). Le général Brissaud-Desmaillet, commandant la 66e division, vient de citer à l’ordre de la division le 6e BTCA, le 8 février 1918. Ce n'est pas lui qui décore les trois chasseurs, mais « Le général Bourquin, commandant la 216e brigade territoriale » Entouré du Commandant George Desvallières et de son adjoint le capitaine Sylvestre, il remet la Croix de guerre au lieutenant Capelier, à l’adjudant Audibert et au lieutenant Durand. (JMO, cf. note 1, Lettre 1337, ci-dessous). La scène est très nette. On reconnait derrière le porte-drapeau Felizia. Puis les chasseurs apparaissent « étagés au-dessus de la route parmi les arbres ».
Lettre 1337
17 février 1918
George à Marguerite […] Aujourd’hui est le troisième anniversaire
de notre entrée en Alsace. J’avais dit que
la messe serait célébrée, un peu en action
de grâce, aussi avec un souvenir pour ceux
qui sont tombés. Je voulais faire une remise
de trois Croix de guerre et faire une prise
d’armes très familiale. Or je te l’ai dit un
cinéma de l’armée de passage m’a demandé
de cinémier cette cérémonie. D’autre part,
nous avons dans le camp même un général (1).
Il a fallu que je le prévienne et c’est lui qui
a remis les Croix, mais ce qui a fini de compléter
cet anniversaire, c’est que ce matin
même, la citation à l’ordre de la division m’est
parvenue. Je n’ai pas pu m’empêcher de faire
constater à mes chasseurs l’étrange coïncidence
de cette citation nous parvenant le
matin même de notre anniversaire.
Malheureusement ce général de brigade n’a
pas su s’il avait le droit d’attacher la Croix de
guerre au fanion, et ce joli geste n’a pas été
pris par le cinéma ce qui aurait été un joli
souvenir. […]
et la fin […] La cérémonie s’est bien passée, les hommes
ont bien défilé, et pour la remise de croix ils
étaient étagés au-dessus de la route parmi les
arbres. […]
G. D.
1— Le général Bourquin commandant la 216e brigade
territoriale remet la Croix de guerre au
lieutenant Capelier, à l’adjudant Audibert et
au lieutenant Durand. (JMO)
4/4.40 à 10.12 Le déblaiement de la neige, fin février 1918
Le déblaiement de la neige qui suit est signalé par George à Marguerite le 28 février 1918. Si les quantités de neige et de froid ne sont pas celles de 1917, les chasseurs au repos doivent fournir encore un effort.
Lettre 1344
28 février 1918
George à Marguerite […] Soyons vigilants chacun de notre côté, et
prions Dieu qu’Il nous en donne la force. En
attendant, nous sommes toujours au repos,
mais la neige devient très abondante, c’est
fort joli mais assez dur pour mes braves gens
qui passent leur temps à déblayer des routes
qui sont aussitôt envahies à nouveau par la
neige. Heureusement, même dans le vent ce
ne sont pas les froids des hauteurs de l’année
dernière. […]
5/ 10.30 à 12.53 Les chiens de traîneau
Enfin, l'arrivée des chiens de traîneau rappelle cette extraordinaire aventure des chiens de l'Alaska, venus du lointain continent pour transporter vivres et hommes au moment des fortes tempêtes de neige et dont le 6e BTCA a pu profiter depuis 1916. (cf. George Desvallières et La Grande Guerre, p. 62-63 et 87 et George Desvallières, Correspondance 1914–1918, Une famille d’artistes pendant la guerre, Lettre 0648 du dimanche 12 mars 1916 p. 256)
Ce petit film d'époque permet ainsi de connaître la façon dont le 6e BTCA a vécu un temps de repos sur le front des Vosges. Le bataillon reprend des forces à l'arrière, au Camp Collet, entre Retournemer et le col de la Schlucht, après avoir combattu sur son 12e secteur, le Steinbach (5 novembre-2 février). Il va repartir au Reichackerkopf (10 mars-28 avril), son 13e secteur, sous l'égide de son chef le commandant George Desvallières, à l'endroit où son fils Daniel a trouvé la mort le 19 mars 1915. (George Desvallières et La Grande Guerre p. 116-117 et George Desvallières, Correspondance 1914–1918, Une famille d’artistes pendant la guerre, p. 452 et ss.).
Merci à Maximilien Ambroselli d'avoir retrouvé ce film d'archives !
Nous avons pu retracer ici l'historique des évènements grâce à nos recherches sur les photographies, les documents d'époque et le Journal des marches et opérations du 6e bataillon territorial de chasseurs pendant la campagne contre l’Allemagne, du 2 août 1914 au 15 mai 1918 (JMO disponible sur le site www.memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr). Une bonne partie de ce travail passionnant a été publiée dans George Desvallières et la Grande Guerre (Somogy 2013), George Desvallières, Catalogue raisonné de l'œuvre complet (Somogy 2015), et enfin George Desvallières, Correspondance 1914–1918, Une famille d’artistes pendant la guerre (Somogy 2013), véritable trésor au milieu de cette tourmente!