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Novembre 2018
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Le Mémorial de l'Hartmannswillerkopf, monument national érigé sur un promontoire qui s’avance
à 956m d’altitude au-dessus de la plaine d’Alsace, en souvenir des combats qui s'y déroulèrent durant la première guerre mondiale.




A l'intérieur du Mémorial, une borne vient d'être érigée sur le témoin George Desvallières, peintre et commandant du 6e Bataillon territorial de chasseurs alpins (6e BTCA), qui a parcouru, entre autres, le terrible secteur de la "mangeuse d'hommes". A l'occasion du centenaire de la fin des combats de ce conflit, nous vous retraçons la campagne qu'il a menée avec ses chasseurs sur le front d'Alsace, entre le 26 février 1915 et le 20 juin 1918, avec quelques photographies d'époque.



1 - Daniel, le jour de son départ pour le front, et George Desvallières devant la gare de Nice, 29 janvier 1915. Coll. part.






Le peintre George Desvallières (1861-1950), créateur du salon d’automne en 1903, quitte ses pinceaux en août 1914, à 53 ans, et rejoint Nice pour organiser la 3e compagnie du 6e bataillon territorial de chasseurs alpins (BTCA), avant leur départ en première ligne. Alors que son fils aîné Richard se retrouve sur le front du Nord, dans le 13e régiment de dragons, son fils cadet Daniel intègre, à Nice aussi, le 6e bataillon de chasseurs alpins (BCA) et part sur le front des Vosges le 29 janvier 1915 (fig. 1). Son père le suit et le rejoint en menant le 6e BTCA en Alsace, le 15 février suivant. Après une rencontre à Saint Amarin, au pied du Sudel où Daniel a participé à une terrible bataille la veille, le jeune fils remonte vers le Reichackerkopf où il perd la vie le 19 mars, fauché par un obus de 210. Son corps ne sera jamais retrouvé. George Desvallières n’apprendra la mort de son fils de 17 ans, par une lettre du Colonel Lançon, que le 7 mai suivant, alors qu’il se trouve à l’Hartfelsenschloss (Rochedure) en face de l’Hartmannswillerkopf.

Carte d'époque et des secteurs parcourus par le 6e BTCA, revue par Éric Braesch et Daniel Roess.
Le plan en perspective implique une échelle variable.


Le capitaine Desvallières parcourra 14 secteurs sur le front des Vosges à la tête du 6e BTCA qu’il mène au combat, de février 1915 à juillet 1918. Entre chaque secteur, le bataillon reprend des forces et cantonne principalement dans les villages de la vallée de la Thur.
1er secteur du 6e BTCA : Hartfelsenschloss-Rochedure, 26 février-3 septembre 1915 (fig. 2). Le 25 mars, George Desvallières est officiellement promu chef de bataillon à titre temporaire.
2e secteur : la Lauch (Niederlauchen), 6 septembre-13 février 1916. Du 19 au 30 septembre, première permission du commandant George Desvallières, à l’occasion de la naissance de sa fille France. Promu chef de bataillon à titre définitif le 20 septembre. Le 7 décembre, fête au bataillon, Desvallières remet la croix de la Légion d’honneur au capitaine Sylvestre et la croix de guerre au capitaine Réocreux (fig. 3).
2 - Dans les bois de Rochedure, hiver 1915. Coll. part.
3 - Le commandant Desvallières, entouré de ses officiers après leur décoration, La Lauch, 7 décembre 1915. Coll. part.
3e secteur : Langenfeld, 8 mars-6 mai 1916. Le 16 mars, au cours d’un accrochage sanglant, le commandant Desvallières décide de consacrer sa peinture à Dieu s’il en sort vivant. Cette journée particulière donnera sa direction à toute la suite de sa carrière de peintre. Il respectera son vœu tout le reste de sa vie. Le 17 mars, il reçoit la croix de guerre à Breitfirst. Le 11 mai, le général de Pouydraguin, accompagné du colonel Gamelin, vient remettre la Légion d’honneur à Réocreux et la croix de guerre à cinq chasseurs, dont les lieutenants Esberard et Blachas.
4e secteur : pentes nord de l’Hartmannswillerkopf, 29 mai-16 septembre 1916. Le 9 juin, violents bombardements sur l’Hartmann : la 3e compagnie du 6e BTCA compte 10 blessés, 6 morts et 8 disparus. Desvallières a inscrit les noms de deux d’entre eux, Guichard et Debliqui, sur la toile Morts pour vous (vers 1919, fig. 9). Le lieutenant Esberard, sérieusement blessé, meurt le 19 juin à l’ambulance de Moosch, après avoir été décoré de la Légion d’Honneur. Le 21, il est enterré à Moosch comme le général Serret, entouré de ses amis officiers, Réocreux, Hansotte, Parès et Capelier, délégués par le Commandant.
5e secteur : Langenfeld, 26 septembre-11 novembre 1916.
6e secteur : Sondernach Metzeral, 27 novembre-3 janvier 1917.
7e secteur : Langenfeld, 23 janvier-4 avril 1917. Le commandant Desvallières au camp Hébrard par des températures de - 20°C, reçoit le 3 février, la visite de généraux italiens (fig. 4).

4 - Le commandant Desvallières (quatrième en partant de la gauche), couvert d’une peau de mouton, accueille les généraux italiens au camp Hébrard, Langenfeld, 3 février 1917. Coll. part.
8e secteur : Sondernach-Metzeral, 25 avril-26 mai 1917.
9e secteur : Langenfeld, 11 juin-12 juillet 1917.
10e secteur : Sondernach-Metzeral, 11-23 août 1917.
11e secteur : la Lauch, 10 septembre-23 octobre 1917.
12e secteur : Steinbach, cote 425, 5 novembre-7 février 1918.
Le 8 février 1918. Le 6e BTCA cité à l’ordre de la division par le général Brissaud-Desmaillet, commandant la 66e division : « Beau bataillon, plein d’entrain, qui, depuis février 1915, sous le commandement du chef de bataillon Desvallières, a tenu successivement plusieurs secteurs d’Alsace, sous des bombardements parfois violents, et a su en assurer la garde malgré les tentatives ennemies. » (fig. 5)
5 - Avec ses officiers autour du fanion reçu après la citation du 8 février 1918. Coll. part.
13e secteur : Reichackerkopf, 10 mars-28 avril 1918. Le commandant Desvallières se trouve avec son bataillon là où son fils Daniel a passé les derniers moments de sa vie, en mars 1915. Le 28 avril 1918, note de félicitations du colonel Eggenspieler au 6e BTCA et à son commandant : « Le 6e BTCA quitte aujourd’hui son centre de résistance. Le colonel commandant le sous-secteur tient […] à exprimer à cette belle troupe et à son vaillant chef la satisfaction qu’il a éprouvée de les avoir eus sous son commandement. Le bataillon a toujours fait preuve d’une belle discipline, d’ardeur au travail et d’une vigilance qui n’a jamais été prise en défaut. Le colonel adresse ses bons vœux au bataillon pour la suite de la campagne. »
14e secteur : le Violu, 1er mai-20 juin. Le 19 juin, un bataillon américain du 61e RI (RIUS) relève le 6e BTCA à Grande Goutte. Le capitaine Philipp Cook y rencontre le commandant Desvallières (fig. 6).
6- Le commandant George Desvallières avec le capitaine Philipp Cook, à Grande Goutte, juin 1918. Coll. part.
7 - CR 1573, Messe au blockhaus HWK, 1916, Gouache et encre sur papier, 20,5 x 12 cm. Coll. part.
Lors de cette campagne d’Alsace, dans des conditions de vie difficiles, avec des hivers très rigoureux et sous des bombardements parfois incessants, le commandant Desvallières se révèle un meneur d’hommes particulièrement apprécié. Les capitaines et les hommes de son bataillon l’admirent et reconnaissent en lui les qualités humaines d’un grand commandant. Le pasteur Henri Monnier, aumônier divisionnaire de la 66e division d’infanterie en 1915 et 1916, se souvient qu’ils l’appelaient « notre bon papa ». « On dit qu’il y a une bénédiction sur son bataillon. Ce doit être vrai ; c’est si beau cet homme qui prie pour ses soldats ! Il faut voir comme il sait leur parler doucement et au besoin fermement. Il partage leurs fatigues et leurs privations. Aussi, tout le monde l’aime. Autour de lui rayonne une pure lumière. »

Lorsque le commandant accepte un poste à l’arrière fin juillet 1918, tous lui rendent un hommage unanime par la voix d’un de ses chefs, le capitaine Réocreux : « […] Au cours de quatre années de vie commune, dans l’atmosphère d’affection qu’il avait su créer au bataillon, nous avons pu apprécier les rares qualités morales qui faisaient de lui l’exemple de toutes les vertus militaires et chrétiennes élevées à la hauteur d’un véritable apostolat ! / Nous l’avons vu dans tous les moments critiques se dépenser sans compter, par tous les temps, par tous les dangers, apportant à chacun le réconfort de sa présence et comme un peu de sa belle âme qu’il faisait passer dans la nôtre ! / Nous l’avons admiré partout, pour sa foi patriotique, sa conception grandiose du devoir, son énergie dans l’effort, sa modestie excessive, son abnégation, sa bonté inépuisable […] »

Desvallières quitte son bataillon à regret, fier du travail accompli et des liens humains qu’il a su créer : « […] Je serai ce père, ce frère aîné, qui, quoi qu’il arrive, par la pensée ne vous quittera jamais […]. » dit-il dans un dernier discours. Le 9 août 1918, il est nommé chevalier de la Légion d’honneur à titre militaire.
Après son départ du bataillon, Desvallières rentre au dépôt de Nice. Il reprend immédiatement les pinceaux qu’il a délaissés quatre ans plus tôt. Certes, il a glissé dans ses lettres à sa femme Marguerite des croquis de guerre poignants, dont deux rappellent son passage à l’Hartmannswillerkopf, une messe improvisée au Blokhaus I (fig. 7) et un « arbre catastrophe » (fig. 8), mais son témoignage pictural éclatera après le conflit dans de grandes décorations. Après avoir fondé les ateliers d’art sacré avec Maurice Denis en 1919, il entrainera les jeunes artistes à la reconstruction et la restauration des édifices religieux. Lui-même réalisera sur le thème du sacrifice de la guerre, les fameuses peintures murales de la chapelle de Saint Privat dans le Gard (1922-1925). Puis en 1929, après avoir composé de nombreuses œuvres sur ce thème dont les vitraux de l’ossuaire de Douaumont (1927), il reviendra dans les Vosges et décorera entièrement l’église Sainte Barbe de Wittenheim (1929-1931), au pied de l’Hartmannswillerkopf. En effet, le peintre désire ancrer dans la mémoire son attachement à ces crêtes qu’il a parcourues avec ses compagnons d’armes et où son fils Daniel est resté.

En souvenir de tous ceux qui ont donné leur vie, il composera aussi, au sortir des combats, une modeste toile intitulée Morts pour vous (fig. 9). Il y représente la montagne « mangeuse d’hommes », avec les noms de quelques soldats de son bataillon morts au cours des quatre années de guerre.
8- CR 1575, Arbre catastrophe et Fuite en Égypte, HWK, 1916, Plume, encre noire et aquarelle sur papier, 25 x 13,5 cm. Coll. part.
9- CR 1612 Morts pour vous, HWK, vers 1919, Huile sur toile, 100 x 90 cm. Coll. part.
Sources :

Journal des marches et opérations du 6e bataillon territorial de chasseurs pendant la campagne contre l’Allemagne, du 2 août 1914 au 15 mai 1918, www.memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr.

Catherine Ambroselli de Bayser, George Desvallières et La Grande Guerre, Préface de Annette Becker, Somogy 2013.

George Desvallières, peintre et soldat de la Grande Guerre, centenaire.org, 8 octobre 2013.
>> http://centenaire.org/fr/autour-de-la-grande-guerre/peinture/george-desvallieres-peintre-et-soldat-de-la-grande-guerre

Catherine Ambroselli de Bayser, George Desvallières, Correspondance 1914–1918, Une famille d’artistes pendant la guerre, Préface de Jean-Jacques Becker, Somogy 2013.

Catherine Ambroselli de Bayser, avec la collaboration de Thomas Lequeu et Priscilla Hornus, George Desvallières, Catalogue raisonné de l'œuvre complet, Somogy 2015.

George Desvallières et la Grande Guerre, film (35 mn) de Catherine Ambroselli de Bayser, auteur du catalogue raisonné de l'artiste, qui comporte une méditation sur la chapelle de St Privat dans le Gard, 2016.








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